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PHAM Si Dung
École Supérieure de Génie Civil de Hanoï, Vietnam
Doctorant en géographie et aménagement, membre du LISST – CIEU, Université Toulouse II Jean Jaurès
Marchés, petits commerces de rue, courses quotidiennes à moto, à vélo ou à pied composent encore des images familières du commerce traditionnel vietnamien, y compris dans la capitale millénaire, Hanoï. À partir de 1986, la politique, connue sous l’appellation de « Đổi Mới » (la rénovation), permet au pays d’entamer une transition de l’économie planifiée à celle de marché (à orientation socialiste). Cette ouverture économique à la mondialisation, doublée de l’attractivité d’un marché de plus de 90 millions d’habitants disposant d’un niveau de vie croissant, s’illustre notamment par une transformation rapide de l’appareil commercial, orchestrée tant par des investisseurs locaux qu’étrangers.
Elle se distingue par l’irruption de nouvelles formes commerciales avec de nombreuses marques nationales et internationales. L’implantation des TTMS1 – version vernaculaire des shopping centers typiques des pays émergents – en est une des réalités les plus visibles. Articulés autour de trois fonctions principales, le commerce, le divertissement et la restauration, ils sont développés selon le modèle du one-stop shopping2. Leur essor est fulgurant puisque, depuis le premier implanté en 2004, 31 TTMS parsèment Hanoï en 2018. En raison du terrain limité et coûteux dans le noyau urbain historique, les TTMS s’installent principalement au péricentre ou à la périphérie de la ville centrale et se développent simultanément le long des principales radiales, rocades et lignes de métro en construction. Cela contribue à l’étalement en « doigts de gant » de Hanoï.
La majorité des TTMS s’inscrivent dans des complexes comportant des logements, des bureaux ou de l’hôtellerie. Souvent situés au rez-de- chaussée, ces TTMS constituent des retail podiums, mais on relève aussi des TTMS souterrains, des KDTM3 et des TTMS sous la forme de constructions indépendantes, fondant de nouvelles polarités rencontrant l’intérêt croissant de la population pour la consommation et les loisirs.
À côté du gigantisme à la fois vertical et horizontal des TTMS, on observe une modernisation qui s’inscrit dans la trame des rues, en particulier les principales. L’on y voit se développer des grandes surfaces et des chaînes de magasins spécialisés. Le nombre de supermarchés et d’hypermarchés est ainsi passé de 74 en 2010 à 125 en 2016. Des formes plus petites ont en parallèle fortement augmenté, passant de 321 (2012) à 602 (2014) pour les petits supermarchés, et de 15 (2014) à 516 (2018) pour les convenience stores. Pouvant s’insérer plus facilement au sein des quartiers résidentiels ou dans les petites rues, voire les ruelles, ils constituent ainsi une nouvelle forme de commerces de proximité. Par ailleurs, on observe la croissance rapide de chaînes de magasins spécialisés, succursales et franchises de grandes marques. Ces boutiques participent activement à la modernisation du paysage commercial, notamment dans les arrondissements centraux, répondant aux aspirations d’une classe montante de jeunes consommateurs urbains dans le domaine de la mode et de la restauration.
L’évolution du paysage urbain, évidente dans le cas des TTMS, est également très sensible le long des rues plus anciennes. Elle s’accompagne d’une régression de la fonction résidentielle avec parfois des recompositions entre maisons sur rue, afin d’augmenter la surface marchande. Si ces nouvelles boutiques contribuent à maintenir un linéaire commercial, elles ne sont pas assimilables à la structure traditionnelle du commerce sur rue qui était celle des compartiments4. En parallèle, les emplacements les plus rentables font l’objet d’un processus de substitution des petits commerces indépendants par de grandes entreprises de distribution. À l’image d’autres pays émergents, la modernisation commerciale figure parmi les symboles peu discutés du progrès socioéconomique du pays. Mais comme souvent, ce processus apparaît comme un rouleau compresseur aux conséquences minimisées. Aujourd’hui encore, les marchés et les autres commerces traditionnels tels que les petits commerces de rue, les ventes ambulantes, occupent une grande part de marché. Dans le secteur alimentaire, on remarque une complicité toujours présente entre la ville et sa région. Mais les nouvelles formes d’urbanisme commercial questionnent le mode de vie urbain dans son ensemble. L’action régulatrice des autorités pour limiter l’occupation des trottoirs par les commerces ambulants devrait s’intéresser aussi au développement des nouvelles formes commerciales et surfaces marchandes, d’autant que plane le risque d’un éclatement de la bulle immobilière commerciale, sur le modèle de la crise immobilière des années 2008-2013. De ce point de vue, l’on peut incriminer toute une gouvernance et une planification qui n’ont pas accompagné cette modernisation très rapide.
- (Le) TTMS – « Trung Tâm Mua Sắm » en vietnamien –, est souvent traduit mot à mot en français par « centre commercial » (Trung Tâm : centre, Mua Sắm : commerce/ commercial).
- One-stop shopping : démarche commerciale qui tend à offrir au consommateur la possibilité de réaliser la majorité de ses achats en un même endroit.
- (La) KDTM – « Khu Đô Thị Mới » en vietnamien –, est souvent traduite mot à mot en français par « nouvelle zone urbaine » (Khu : zone, Đô Thị : urbaine, Mới : nouvelle). Il s’agit de projets immobiliers dotés d’infrastructures complètes. Les KDTM se sont répandues dans les villes vietnamiennes depuis les années 1990.
- Compartiment ou « nhà ống » (maison-tube en vietnamien), est un type de logement traditionnel et répandu en Asie du Sud-Est qui est caractérisé par la mixité entre la fonction résidentielle et un rez-de-chaussée commercial ouvert sur la rue.
© PHAM Si Dung